🌱 D’abord c’était l’été. Le premier jour, j’étais agité à l’idée de « calmer le bruit ». « Agité » à l’idée de ne plus l’être. Confus. Juste avant, il y avait eu trois jours de cafés et deux nuits de vin rouge à travailler sans relâche le Requiem, pour tenter de prouver à des cons qui m’avaient pris en grippe que je suis, dans le fond, un peu plus qu’une marionnette qu’on secoue pour qu’elle chante. J’ai passé plus de douze heures sur mon piano, une heure ou deux à enregistrer, une nuit tardive à tourner, une autre à monter… Une fois la vidéo terminée, planifiée, presque au petit matin et après avoir dormi un peu, je suis arrivé ici en fin de journée jeudi. Ici. Dans le silence, dans l’écran, soulagé d’avoir réussi à aller au bout des choses, de moi, à temps. Excessif comme je sais trop bien l’être, car étrangement cela me rassure. Je me rends compte aujourd’hui que je n’avais rien à leur prouver, c’était juste moi qu’il fallait que je rassure.
Lorsque j’ai trouvé, non sans mal, le sentier qui menait vers la cabane en pente, étroit, parsemé de ronces et de cailloux instables, j’ai tout de suite compris qu’il allait se passer quelque chose ; quelque chose d’accessible et de simple que j’étais en mesure d’accueillir, la fatigue aidant. Pas de réseau dans la forêt. Pas du tout. Je n’avais pas prévu ça, je ne me suis pas inquiété car aussi isolé que je puisse l’être, je ne le suis jamais vraiment. Puis il y avait les chiens.
D’abord c’était l’été : le soleil était franc, jaune, des insectes multicolores inconnus sifflaient tout autour et un vent tiède faisait danser l’ombre d’un chêne sur une méridienne installée au coin de la terrasse en bois usé. Je m’y suis étendu les affaires encore au pied des escaliers, les chiens blottis contre moi l’un sous le bras et l’autre sous le genou. J’ai fermé les yeux et n’ai plus bougé, comme pour récupérer des derniers mois enchaîné au travail malade, presque vain. Là, enfin, il n’y avait plus rien à faire ni attendre de la fin de cette journée ou du reste. Je prenais mes marques, les yeux fermés.
J’ai dormi onze heures la nuit suivante (et quasiment autant les neuf autres) dans une tente installée sur le toit de la cabane, envahie d’insectes avec lesquels je tentais de cohabiter, avec lesquels il fallait jouer paisiblement, trouver un compromis. Malgré les moustiquaires, des mini-sauterelles pas plus grandes que des coccinelles s’occupaient chaque soir à me sauter sur les joues pour que je me donne des claques, mais d’aussi loin que je me souvienne, ce furent les nuits les plus réparatrices que j’ai connues ces dernières années (surtout cette dernière). Au réveil je mangeais comme si je n’avais rien avalé depuis des mois. D’habitude un café suffit jusqu’à quinze heures, mais là, j’avais faim ! Toujours dans l’excès, mais en plus calme déjà, je crois, et chaque jour un peu plus.
« De ma terrasse dans les branches perchée à cinq mètres de haut, il n’y a que des arbres, à perte de vue, il n’y a aucun bruit qui ne vienne pas de l’un d’entre eux. Pas de route, pas de ville ni même de village, juste le vent dans les branches qui souffle une onde continue, en crescendo, en decrescendo, toujours belle et jamais violente. » (un texto envoyé sans savoir s’il arriverait)
Le vent, une berceuse qui m’aura accompagné au fil des jours, des nuits, comme un pansement sur le silence qui parfois fait peur même si, comme tout, il a juste besoin d’être apprivoisé pour rassurer. Et c’est ce qu’il a fait finalement. Avoir le temps, le prendre, penser pas trop fort, dormir en silence sont devenus luxe pour un citadin hyperactif comme moi, et je connais ma chance d’avoir trouvé cette place au soleil, sur ma méridienne, alors qu’au dehors le bordel est constant et n’en finit pas de s’épandre. Ici dans mon bain de forêt, la paix se dévoilait de nouveau.
Cette retraite était prévue depuis deux semaines déjà, et elle tombait à point nommé. C’était tout ce qui me fallait : Voir un oiseau se poser près de ma main parce qu’il me sait assez calme pour avoir confiance, me sentir intégré par une nature libre, retrouver la sécurité ; chasser ces dix-huit derniers mois au rythme et au souffle du vent ; avec les chiens marcher des heures, me perdre dans la forêt sous l’orage, sans réseau, rentrer trempé et souriant ; prendre mille photos ; rassembler mes idées sur des feuilles, écrire dans tous les sens, beaucoup ; attendre le soleil, la fin de l’orage, le début du suivant ; allumer le poêle à bois ; guetter le soir, guetter le matin pour voir changer les couleurs des nuages et des cimes, voir un ou deux écureuils ; tenter (maladroitement) de répondre durant des heures à une chouette en imitant son cri ; se dire le dernier jour que ce sera le dernier verre ; retrouver l’essentiel.
Ensuite c’est déjà l’automne, la rentrée ? Je suis prêt. 🌱